Stéphane Benhamou met la rentrée en procès !

Et si, un matin de septembre, la rentrée n’avait tout simplement pas lieu ? Une hypothèse vertigineuse mais qui, à la lumière de l’actualité sociale et politique, ne paraît plus si folle. C’est le point de départ du roman La rentrée n’aura pas lieu de Stéphane Benhamou, adapté en procès fictif au Théâtre de la Concorde le 16 septembre à 20h. Nous avons rencontré l’auteur pour revenir sur l’origine de son récit, son écho troublant avec notre époque et la force du passage de la fiction au débat théâtral.

Votre roman La rentrée n’aura pas lieu imagine une France qui refuse de reprendre le travail. D’où vous est venue cette idée ?

C’est une idée que chacun a dû avoir un jour et que j’ai poussée un peu plus loin, sans doute sous l’influence du Bartleby de Melville, du sociologue Henri Vaquin qui expliquait le jeu de dupes des négociations depuis les grèves de 1995 et, plus généralement, de mon expérience personnelle : quand on décroche quelques semaines de sa routine, non seulement on mesure ce qui cloche dans ce qu’on a fini par trouver acceptable, mais en plus on réapprend la liberté et, avec elle, le respect dû à chacun.

En 2016, votre roman semblait relever de l’utopie-fiction. En 2025, il résonne étrangement avec l’épuisement collectif et les formes de contestation sociale que nous observons, en particulier l’initiative « Bloquons tout » du 10 septembre prochain lancée par un mouvement citoyen et repris par certains partis politiques. Coïncidence ?

Comment s’appelait le dernier film –inachevé– de Marilyn Monroe ? « Quelque chose va craquer »… C’est le sentiment que l’on peut avoir quand le vivre ensemble au travail et en société ne fonctionne plus. Depuis la publication de ce roman, il y a eu « Nuit debout », les Gilets jaunes, des expressions qui avaient en commun avec ma fiction le refus de s’en remettre à un leader, le fait, comme dans L’An 01 de Gébé, de se poser et de chercher ce qui ne marche plus. J’ai longtemps vécu à la campagne et j’ai vu comment mes voisins pouvaient se sentir exclus d’un monde qui les jugeaient archaïques, dépourvus des bons codes, roulant au diesel parce qu’ils n’avaient pas les moyens de changer leur vieille auto. Eux non plus n’avaient pas envie de reprendre le travail à la rentrée pour n’être considérés que comme des traine-savates de la « start-up nation ».
Quant au 10 septembre, je ne m’associe nullement à tous les récupérateurs qui ne souhaitent pas un large débat et n’espère qu’un énorme bazar.

On retrouve dans la distribution des spécialistes tels que Dominique Méda, Cécile Duflot, Philippe Martinez ou encore Serge Hefez et des artistes qui participent de la forme théâtrale du procès. Comment ce dialogue entre le savoir et le jeu scénique enrichit-il selon vous l’expérience du public ?

Ces spécialistes, qui jouent bien volontiers le jeu de ce Procès de la Rentrée, interviendront comme témoins dans la pièce. Ils ont tous réfléchi et écrit sur la perte de sens : sens du travail, sens de la démocratie, sens du vivre ensemble, sens à donner à tout ce dont est abreuvé en permanence… Et tous cherchent à redonner du sens à ce qui s’est égaré en chemin dans notre démocratie fatiguée.

Qu’apporte, selon vous, le passage du roman au procès fictif, ce format théâtral et démocratique devenu la signature du Théâtre de la Concorde ? Qu’est-ce que le théâtre, en rejouant la justice, permet de révéler de notre époque ?

C’est un passage vers le meilleur passeur qui soit : c’est, je crois, la vocation du Théâtre de la Concorde, d’être un passeur, de provoquer des échanges constructifs, à l’opposé de faux débats surjouant l’affrontement. Cela fait une bonne génération que les débats sont mis en scène à la télévision, jouant un drôle de mélange des genres, variétés et politique ; trop longtemps aussi que l’on qualifie de débat le spectacle que nous servent les chaînes d’information en continu.

Si le public devait sortir de ce procès fictif avec une conviction nouvelle sur la rentrée, laquelle aimeriez-vous qu’il emporte avec lui ?

Celui d’un nouveau départ avec de meilleures intentions. Moins résigné, plus volontaire, pour autant qu’on en ait la liberté. Si la prise de conscience est forte, cette liberté sera possible. Le but, quitte à me répéter, n’est pas de « mettre le bazar » mais d’arrêter le délitement provoqué par les abandons successifs, la perte du respect et de l’écoute de l’autre.

© Eve Benhamou