« Répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes » écrit Antoine Leiris dans son livre Vous n’aurez pas ma haine (2016, Fayard), quelques jours seulement après que sa femme Hélène a été assassinée au Bataclan lors des attentats terroristes du 13 novembre 2015.
C’est tout l’esprit de la séquence que le Théâtre de la Concorde a imaginée pour les dix ans de ces attentats : ne pas répondre à la haine par la colère, à la bêtise aveugle par une même étroitesse d’esprit mais faire corps pour imaginer la vie d’après. Se rassembler dans notre diversité, se regarder, s’écouter et échanger.
Faire corps, c’est une nécessité aussi bien à l’échelle de l’individu qui souffre qu’à celle du groupe qui agit. Une nécessité politique, pour occuper sa place dans le récit démocratique, faire entendre sa voix collectivement, s’insurger quand la situation l’exige : l’oppression, l’urgence climatique, la crise démocratique.
Faire corps, c’est résister, mais c’est aussi proposer, c’est une réponse pour le présent, mais aussi une initiative pour l’avenir.
Faire bloc. En corps. En chœur. Encore.
Les mémoires qui nous rassemblent
Le 4 novembre, nous entamerons ce mois par une rencontre imaginée par Hacène Belmessous autour de Delta Charlie Delta, le roman de Michel Simonnot qui revient sur la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un site EDF de Clichy-sous-Bois en 2005. Dix ans après ces émeutes qui ont embrasé les banlieues, cette lecture suivie d’un débat nous rappelle que certaines blessures collectives méritent d’être pensées, pansées, pour mieux construire ensemble.
Le 5 novembre, Les grandes voix de l’Égalité des chances transformeront notre scène en agora. En partenariat avec l’association Article 1, qui accompagne depuis 20 ans plus de 100 000 jeunes issus de milieux populaires, nous mêlerons personnalités artistiques, intellectuelles, associatives et politiques pour des lectures, dialogues et performances consacrées à la lutte contre le déterminisme social. Faire corps, c’est aussi s’assurer que chacun puisse choisir son avenir sereinement et librement.
Dix ans après : panser ses plaies en pensant l’après
Les 7 et 8 novembre marqueront le temps fort de ce mois avec notre événement « 10 ans après les attentats de novembre 2015« , pensé avec la Fondation Jean Jaurès. Une rencontre autour de la mémoire, de l’identité, de la vie parisienne post-attentats et de la notion de terrorisme. Comment une ville, une société, font-elles corps après l’impensable ?
Les 8 et 9 novembre, Les Consolantes de Pauline Susini prolongera cette réflexion par l’art. Fondé sur les expériences intimes de témoins des attentats du 13 novembre 2015, ce spectacle explore la mémoire traumatique à travers des inspirations mythologiques. Avec Noémie Develay-Ressiguier, Sébastien Desjours, Sol Espèche et Nicolas Giret-Famin, cette création nous interroge : comment le théâtre peut-il consoler ? Comment l’art aide-t-il à faire corps avec ses blessures ?
Quand faire corps devient résistance
Kaboul, une chambre à soi nous confrontera à l’une des tragédies contemporaines les plus criantes. En Afghanistan, où naître femme en 2025 équivaut à être bannie de l’espace public, empêchée de se déplacer librement, privée de tout loisir, Caroline Gillet (journaliste à France Inter) et Kubra Khademi (artiste afghane exilée depuis 2015) proposent une installation immersive. À travers leur podcast Inside Kaboul devenu film d’animation, elles donnent voix à deux jeunes Afghanes. Une captation vidéo réalisée depuis Kaboul nous rappelle que faire corps, c’est aussi tendre la main à celles qu’on voudrait faire disparaître.
Faire corps démocratique
Du 12 au 15 novembre, Coupures de La Poursuite du Bleu interrogera la crise de la représentativité démocratique avec humour et tendresse. Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget nous racontent l’histoire de Frédéric, maire écologiste qui décide seul du déploiement d’antennes-relais dans sa commune. Une trame drôle et enlevée qui pose une question cruciale : comment faire corps démocratique quand les élus agissent en solitaire ?
Tisser les identités au fil du wax
Le 18 novembre décembre, Wax Mood – Histoires d’identités tissées nous invite à explorer une autre forme de résistance : celle de la reconstruction identitaire. Sous la direction artistique d’Hervé Sika, cette fresque chorégraphique, musicale et humaine entrelace danse, musique classique, hip hop et parole vivante autour du wax, tissu emblématique des identités africaines.
Sur scène, les détenus de la maison d’arrêt de Meaux côtoient les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris et les danseurs de la Compagnie Mood. Né en détention à partir d’ateliers d’écriture et de création, ce spectacle fait surgir un récit polyphonique sur ce qui nous constitue, nous façonne, nous relie. Les voix de ceux que l’on n’entend jamais trouvent enfin une scène, transformant l’art en acte de réinvention.
Imaginer l’avenir ensemble
Les 28 et 29 novembre, Le Futur Festival d’Usbek et Rica clôturera ce mois en beauté. Face à un futur qui fait peur – prendre l’avion ? aller voter ? acheter une voiture ? – chaque choix apporte son lot d’hésitations et de culpabilité. Mais le futur est aussi source de curiosité, de réflexion, d’entrain et d’espoir. Cette première édition du Futur Festival partira de la réalité brute, parfois déconcertante, toujours intéressante, pour nous aider à faire corps avec l’incertitude et à construire ensemble ce qui vient.
En corps, en chœur, encore
Novembre au Théâtre de la Concorde, c’est un mois de rassemblement, de mémoire partagée, de résistance collective. Parce que faire corps, ce n’est pas faire masse. C’est reconnaître nos différences pour mieux construire ensemble. C’est choisir la rencontre plutôt que l’affrontement, le dialogue plutôt que le monologue, l’intelligence collective plutôt que la solitude des ego.
Face aux fractures qui traversent notre époque, face aux tentations du repli et de la haine, nous choisissons de faire corps. De nous serrer les coudes sans nous marcher sur les pieds. De parler d’une même voix sans pour autant dire la même chose.